L'EFFET MIROIR
thriller fantastique

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Prologue

 

            J’avais enfin déniché la pièce manquante. C’en était fini des journées complètes à me ronger les ongles et fumer des cigarettes devant mon écran d’ordinateur. Je n’ai jamais cru en aucune divinité mais j’avais ressenti cette découverte comme un signe venu d’ailleurs. Moi qui connaissais pourtant ce quartier d’Orléans, je n’y avais jamais remarqué la présence d’un antiquaire. Plutôt normal pour quelqu’un trouvant inutile d’acheter de vieux machins dont les fonctions principales étaient réduites à servir de décoration et drainer la poussière. Mais là, la façade vieillie aux vitres fumées par la crasse de cette boutique, son enseigne en bois d’une autre époque, m’avaient tout de suite sauté à la figure. J’avais arpenté la rue de la République des milliers de fois, deux jours avant encore. J’avais tourné la tête vers cette ruelle perpendiculaire pour traverser tout autant de fois sans jamais être interpellé. Je m’y étais donc engagé, l’esprit aiguisé par la curiosité.

Le silence faisait place au tumulte du centre-ville au fur et à mesure que j’approchais de la boutique, ce qui lui donnait une dimension particulière. Elle coupait le décor, contrastait avec les immeubles voisins en pierres blanches sculptées, comme une cicatrice sur le visage. Sa façade était habillée de vieilles lattes en bois que les années avaient décolorées, je me demandais même comment elles pouvaient encore tenir. Les pavés dégageaient cette odeur bien caractéristique du passage de la pluie. L’orage venait de frapper, d’épais nuages gris persistaient encore et assombrissaient un peu plus la vitrine hostile. Mais elle était là, bien visible au milieu d’innombrables objets quelconques, une machine à écrire Underwood noire et scintillante. Imposante et mystérieuse, certainement à l’origine de nombreux ouvrages. C’était une aubaine pour un écrivain comme moi en panne d’inspiration, bloqué sur une page blanche numérique effaçable en un clic. C’était peut-être ce qu’il me manquait, le bruit des barres à caractères qui se déplacent et viennent frapper la feuille de papier ; une écriture authentique, sans corrections automatiques ; des mots figés, moi qui tuais  chacune de mes phrases en les reprenant sans cesse.

 

Sans même en connaître le prix, je savais d’avance que j’allais l’acheter. J’entendais déjà ma femme Émilie m’inonder de reproches et de remarques blessantes. « Tu n’as pas autre chose à faire plutôt que de ramener des conneries à la maison ? Tu ferais mieux de chercher du boulot et laisser tes rêves de côté. Si tu étais fait pour être écrivain, ça se saurait déjà. » Étais-je capable de la convaincre que cet achat allait changer notre vie ? Certes, je n’avais plus de travail et notre train de vie avait nettement diminué, mais il fallait le considérer comme un investissement. Avec une telle machine, je ne pouvais écrire que de belles choses, c’était un accès direct vers une publication, mon laissez-passer. J’en étais persuadé.

Trois cents euros, un cinquième de mon allocation-chômage, de quoi faire pâlir ma femme, ou la faire rougir de colère, elle qui ne jurait que par les vêtements de marque. L’antiquaire, qui semblait être aussi âgé que sa boutique, m’avait dit qu’elle datait des années 1930, son ancien propriétaire l’avait entièrement restaurée. Un héritage familial. Bien qu’en état de marche, je ne devais pas l’utiliser, le vieil homme aux lunettes épaisses et rondes m’avait mis en garde sur ce point. Il avait été solennel, presque inquiétant, peut-être essayait-il de justifier son prix exorbitant ? Cette machine-là avait une histoire. Toutes les personnes qui s’étaient aventurées à écrire avec avaient fini par perdre la raison. Était-il obligé d’inventer une telle légende pour attiser mon envie de la posséder ? Bien sûr que non. Je l’avais voulue à l’instant où je l’avais vue, c’était impossible à expliquer. Quant à renoncer ou même réfléchir, c’était trop tard, les années n’avaient en rien apaisé ma ténacité.

Et maintenant l’Underwood était devant moi. J’effleurai les touches non sans un léger frisson. Cet objet en jetait pas mal, même sur un bureau en bois compressé imitation chêne, dans la pièce de travail où je m’enfermais tous les matins pour écrire mon premier roman. J’avais lu dans un manuel qu’il était préférable de composer la porte fermée. J’avais essayé, l’inverse aussi, mais mon esprit restait vide, l’inspiration aux abonnés absents. Je pouvais aborder l’exercice de toutes les manières possibles, rien n’y faisait. Je pensais que cet achat compulsif allait changer le cours des choses, en quelque sorte. C’était symbolique. Je me  disais que peut-être un grand écrivain avait fait ses armes dessus, avant de devenir fou.

J’écrasai ma cigarette dans le cendrier surchargé de mégots. Je fixai mon ordinateur portable comme l’on fixe une vieille paire de baskets que l’on hésite à jeter, puis mon  Underwood. Elle me défiait. Je sortis un paquet de feuilles blanches de l’imprimante et en glissai une dans la machine à écrire. À cet instant, j’étais loin d’imaginer ce qui allait se produire.

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