GRAND ANGLE
novella à suspense

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Prologue

 

31 juillet 2019

 

            Le vent s’engouffrait dans le tunnel par à-coups et formait de grosses vagues de chaleur moite, le genre à vous coller les vêtements sur la peau. Quelques parties de l’armature métallique grinçaient sous la pression. Alexis avait l’impression que toute la structure menaçait de s’effondrer, que ce n’était qu’une affaire de minutes. Mais, depuis combien de temps était-il ici ? Aucune idée. Tout s’était très vite enchaîné, sans qu’il puisse réellement intervenir, tel le spectateur d’un mauvais film. Un scénario que l’on déteste, qui nous dégoûte, mais que l’on ne parvient pas à lâcher pour autant. 

            Il se tenait penché, les mains sur les genoux. Il peinait à respirer et la sensation qu’un molosse survitaminé lui enserrait la poitrine de ses bras l’oppressait davantage. Le temps orageux n’était pas à l’origine de son état, mais plutôt ce qui se trouvait derrière lui, à quelques mètres à peine. Marcher droit devant, sans se retourner, aurait été la meilleure solution, mais aussi la plus grave de conséquences pour lui. Il n’avait pas le choix. Il cracha un restant de bile et s’essuya la bouche du revers de la main. Ce geste lui fit perdre un équilibre déjà précaire et il se laissa tomber lourdement sur les rails. Après quelques secondes ou peut-être minutes – car la notion du temps avait disparu de son esprit –, il roula sur le dos et sortit une cigarette de son jean, plus par habitude que par réelle envie. Il ne maîtrisait pas le tremblement de ses mains, au point qu’il eut des difficultés à faire coïncider la flamme du briquet avec le bout de sa clope. La première bouffée qu’il avait imaginée salvatrice lui donna la nausée, mais elle se dissipa rapidement. 

            Il posa la nuque sur l’un des rails, et un sentiment de fraîcheur l’envahit sans pour autant le calmer. La station de métro était abandonnée, la rame ne risquait donc pas de se pointer et de lui trancher la tête, même si, au regard de la situation, cette option lui paraissait être la meilleure. Il se releva en douceur, son cœur cognait dans sa cage thoracique à une vitesse incroyable. D’aussi loin qu’il se souvienne, la dernière fois qu’il avait battu de cette façon remontait au jour où il avait repris la course à pied, quelques années en arrière. L’unique tentative s’était prolongée sur une dizaine de minutes, à la suite desquelles il avait rendu les armes ainsi que son petit déjeuner trop copieux. 

            Une fois debout, il se mit à marcher très vite en pompant frénétiquement sur sa cigarette. Marcher sans but précis, mais pas pour oublier, c’était impossible. La scène qu’il venait de vivre se répétait sans cesse dans son esprit tel un disque vinyle rayé qui se serait entêté à lire les mêmes sillons. Il ne parvenait pas à chasser toutes ces images, plus il essayait et plus elles se multipliaient, se superposaient, façon poupées russes. Ça lui laissait très peu d’espace pour la réflexion. Cogiter sur la manière dont il allait procéder maintenant qu’il était seul. Il avait bien pensé à l’éventualité d’appeler Benoît, mais son meilleur ami aurait certainement eu beaucoup de mal à comprendre ce qu’il faisait en Belgique, un mardi à plus de vingt-trois heures, dans une station de métro abandonnée. Il effaça donc très rapidement cette option, d’autant plus qu’il devrait tout lui raconter. L’amitié devait avoir certaines limites, du moins l'imaginait-il. Et Alexis n’arriverait pas à l’empêcher de vouloir creuser plus loin. Le constat était sans appel : personne ne pouvait rien pour lui. Ça paraissait pourtant si simple dans toutes les foutues séries qu’il regardait à longueur de soirées. Les décisions se prenaient en quelques secondes, les héros devenaient d’incroyables guerriers, les victimes, des sprinters sans limites physiques. On se relevait d’une explosion sans une égratignure, juste un peu de poussière sur l’épaule que l’on soufflait avant de reprendre la course-poursuite. Alexis jeta son mégot au filtre carbonisé droit devant lui, comme un mec déterminé qui venait de prendre une décision qui changerait le monde. Il devait se concentrer sur les faits. Et agir. 

            

            Rien que l’idée de se rapprocher de cet homme dont il ne connaissait même pas le prénom lui filait des frissons et lui remuait l’estomac. Mais il le fallait. Ses pas se faisaient de moins en moins rapides et précis, sa respiration plus laborieuse. 

            Au grand désarroi d’Alexis, le quadragénaire n’avait pas bougé. Il était allongé dans la même position, les bras écartés. Des sonorités désagréables lui revinrent en mémoire. Alexis alluma une autre cigarette tout en fixant l’homme, absorbé par son visage difficilement reconnaissable, car boursoufflé et ensanglanté. Il se demanda comment ce type qui, en raison de ses vêtements de marque ne semblait pas être dans le besoin, pouvait lui aussi se retrouver ici. Ça n’avait plus vraiment d’importance. Il aurait été tellement plus simple de se sauver lâchement, comme ses employeurs un peu plus tôt. Après tout, les lieux étant abandonnés, le cadavre n’aurait été découvert que quelques jours après – ou peut-être plus – par des squatteurs, un vagabond ou des tagueurs. Un passage à tabac parmi tant d’autres, un règlement de comptes qui aurait mal tourné… C’est certainement de cette façon que la police aurait conclu l’affaire.

            D’ailleurs, l’idée de les appeler en se faisant passer pour un visiteur urbex nocturne s’était très vite estompée, car il y avait la batte de base-ball, celle qui avait porté le coup fatal. Celle sur laquelle Alexis avait laissé ses empreintes. Celle que ses deux employeurs avaient embarquée comme pièce à conviction, au cas où il n’exécuterait pas la lourde tâche de faire disparaître le corps. Si une enquête s’ouvrait, cet objet referait surface à coup sûr à proximité du lieu du crime, et peut-être même avec d’autres indices menant au présumé coupable.

 

            Alexis s’accroupit près de la victime qui semblait s’entretenir physiquement et devait peser au moins quatre-vingts kilos. Son visage revêtait une expression étrange. Ses yeux étaient clos, son nez n'était plus qu'un amas pourpre et sa bouche demeurait béante comme s’il criait. Le sang sur ses lèvres avait déjà séché et formait d’horribles croûtes foncées. Alexis détourna le regard quelques secondes. Un doute le frappa alors. Était-il vraiment mort ou juste sonné ? Comment le savoir sans le toucher ? Il n’osait pas s’y aventurer pour le moment, il n’en avait pas la force. À première vue, sa poitrine n’avait pas l’air de se soulever. Difficile à définir, lui-même n’était pas convaincu de respirer. Il n’était plus sûr de rien tant la scène lui paraissait surréaliste. Une bourrasque s’engouffra dans le tunnel en faisant couiner toute la structure. Il inspira longuement et entreprit de rapprocher son oreille de la bouche du cadavre pour vérifier s’il entendait le moindre sifflement. Il ferma les yeux au dernier moment et se mit en apnée pour ne pas sentir l’odeur du sang, de la mort. Un claquement métallique suivi d’un miaulement rauque le fit sursauter. Il en perdit l’équilibre et s’écrasa la face la première sur le torse du quadragénaire. Un réflexe sorti d’ailleurs le fit bondir aussitôt et il atterrit sur les fesses en hurlant un : « Putain de chat de merde ! » 

            Il demeura dans cette position un long moment, pas loin d’une heure, le cerveau complètement en veille. Incapable d’émettre le moindre mouvement. Son téléphone bipa pour lui signaler qu’il ne lui restait que 15 % de batterie. Cette alarme remit ses sens en action. Il pesta intérieurement d’avoir été assez stupide pour partir loin de chez lui avec un portable à moitié chargé, mais surtout encore plus bête d’avoir accepté ce job pour le compte d’inconnus. À l’origine, ce devait être un travail plutôt sympa et dans ses cordes. En aucun cas il n’avait été question de se retrouver dans une telle situation, avec un mort sur le dos ! Un foutu piège dans lequel il avait sauté à pieds joints, le sourire aux lèvres. 

            Jugeant inutile de ressasser davantage, il se leva. En mode robot, il se pencha sur le cadavre et attrapa ses deux poignets tout en réprimant un haut-le-cœur. Le contact fut froid, mais pas glacial comme il se l’était imaginé. Il tira de toutes ses forces. Le démarrage fut laborieux, car ses pieds glissaient. Il redoubla d’efforts et ce second essai fut le bon. Le bruit du corps sur le vieux carrelage souillé résonnait d’une façon étrange, lente et métronomique, calée sur l’allure de ses pas. Il avait l’impression de n’entendre que ça. Un coup de tonnerre lui fit lâcher sa prise et les deux bras du quadragénaire s’écrasèrent au sol dans un « ploc » glaçant. Alexis souffla, les mains sur les hanches. Il était aussi trempé et épuisé que son t-shirt et il avait à peine parcouru trois mètres. L’orage s’exprima à nouveau, peut-être pour le rappeler à l’ordre ? Car la vérité le frappa de plein fouet, il venait de prendre conscience d’un paramètre très important. Sa voiture était garée dans la ville, à deux rues d’ici. Même s’il allait la chercher pour l’approcher au maximum, elle serait tout de même à la vue de tous. Il faisait nuit depuis un moment, mais dans une ville comme Charleroi, il était peu probable que les rues soient complètement désertiques. Même à Valenciennes, il y avait toujours du passage, et quasiment toute la nuit. Il suffisait d’une personne au mauvais moment. D’autant plus qu’il n’arriverait pas à transporter le corps jusqu’à la voiture et encore moins à le hisser dans le coffre. Pas seul et à bout de forces comme il l’était déjà. Il devait trouver une autre solution.

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